mardi 2 décembre 2008

Mémoire d'ailleurs, quand tu nous guéris

J'ai tellement de choses à écrire que je voudrais être un cracheur de mots, tel un cracheur de feu éclaire la nuit d'une chaleur lumineuse, instantanée.

Et pourtant, ce serait prendre le risque de mettre le feu aux poudres et d'enflammer la terreur qui tourbillonne mes pensées.

Je ne sais pas encore si ce que je veux écrire me concerne tout à fait, touche à la réalité ou à l'histoire construite au fil de ma généalogie, au travers d'un regard d'enfant ou de femme, mais l'émotion qui s'invite depuis ces derniers mois est une frayeur qui m'est étrangement familière et étonnamment étrangère.

Elle est à la fois fugitive et permanente ; justement, il me faut enclencher la procédure de licenciement qui relèguera au rang d'exclusion la peur du rejet qui ne me quitte pas, comme si j'étais un lieu hanté par la mémoire de faits que je ne retiens pas, que je ne connais pas et dont pourtant je crois me souvenir.

Aujourd'hui je découvre à quel point je peux être étrangère à moi-même. Une sensation nouvelle qui est à la fois déstabilisante et rasurante. Si je suis habitée par une frayeur que je ne maîtrise pas, si je suis vraiment telle que je le voudrais, aimante et attentive aux autres, alors comment comprendre ce qui m'arrive et cette terreur envahissante ?

Le soir est là, nuit sombre et pluvieuse et déjà j'ai peur que le sommeil ne balaye la frayeur que j'ai entrevue aujourd'hui. Distingant enfin un peu celle qui est la mienne de celle qui est probablement liée à mon histoire, à mes ancêtres.

Et j'ai peur. Peur que le sommeil me pousse à l'oubli et qu'après avoir dormi cette sensation, cette histoire que je voudrais écrire m'échappe...
Et pourtant, j'ai mal à cette douleur ! Si je veux l'écrire, c'est aussi pour la mettre à distance, la sortir de moi, l'extirper de mon corps et de mon esprit pour moins souffrir.
Dormir et risquer que tout retombe dans l'oubli. Je comprends l'insomnie et la certitude que maintenant je sais.

A la lumière de la pénombre, je veux savoir, regarger avec honnêteté la sincérité qui est la mienne, expliquer ma douleur et la question qui me taraude : "Est-ce que je trahis les miens si je réussis ?"

Si je pose un regard sur ma vie, d'aucun dirait que je réussis. Brillamment même. Cependant, non par exigeance ou intransigenace personnelle, je sais, moi, que je ne réussis pas tel que je le voudrais sans pour autant savoir avec précision ce que je pourrai entreprendre ou réaliser pour être satisfaite tout à fait. Il me semble que je suis lancée à grande vitesse dans une vie qui se déroule sans être tout à fait la mienne. Comme si je ne l'investissais pas totalement. J'ai souvent l'impression que je ne donne pas l'entière mesure de ce je pourrai... mais comment savoir pourquoi tant de retenue ?

Comment comprendre que rester dans l'ombre soit si confortable quand tant d'occasions de prendre le devant de la scène s'offrent à moi ? En tous les cas, pas par modestie ! Mais la crainte de lever le voile, de donner à voir, à découvrir qui je suis vraiment, de manifester encore un peu plus ce décalage que je ressens souvent face aux autres. J'ai l'impression d'avoir souvent un point de vue très déterminé sur les choses et d'avoir une capacité à affirmer ma différence de penser même seule face à tous... et de convaincre ! Je suis rarement seule longtemps, tellement je plaide et quand bien même les autres ne me suivraient pas, cela ne me gêne pas. J'ai la conviction que l'on n'a pas forcément raison sous prétexte que l'on fait partie du plus grand nombre. Je me plais souvent à dire que l'on peut être seul à penser une chose et pourtant à avoir raison mais je vois bien que je surprends et que d'ordinaire, c'est comme si les gens n'aimaient pas être dans cette position ou trouvaient leur force intérieure dans le confort du point de vue de la majorité.

Je ne sais pas d'où me vient cette force intérieure mais je la sens me permettre de faire face à l'agressivité qu'un groupe peut vite développer vis à vis d'un contradicteur ou d'un avis minoritaire. Et pourtant, je ne rentre pas dans la bataille. L'échange pour l'échange ne m'intéresse pas. J'ai un point de vue à soutenir et je peux être féroce face à l'adversité collective, tout en étant paisible et tranquille. Je ne partagerai mon point de vue qu'avec quelques personnes choisies, non parce qu'elles sont d'accord ou faciles à convaincre, plutôt pour leur qualité d'écoute et d'ouverture, des personnes sans doute capables de respecter un point de vue radicalement différent du leur, sans jugement, sans interprêtation ou sauvage réaction ! Et aussi des personnes capables de soutenir leur point de vue, quitte à me convaincre que j'ai tord.

Comment se fait-il que l'on soit aussi suiveur ? Aussi peu enclin à avoir son propre avis sans le référencer sur les autres, sur la majorité ? Ça m'effraye de constater aussi peu d'esprit critique, de libre arbitre... et cette frayeur gronde en moi soulevant un danger que j'aperçois immédiatement !
Avez-vous vu les péripéthies qu'a traversé le couple Karsfeld dans sa lutte contre les criminels nazis ? Et il y a encore des gens pour croire qu'ils menaient un combat pour leur propre histoire, ne comprenant pas que justement, la force de ces mémoires est largement supérieure à toutes les puissances et qu'elles dépassent le possible... Qu'elles poussent à terminer l'action entreprise pour "nettoyer" les mémoires d'ailleurs, assénir le terreau dans lequel nous pourrons semer à nouveau, cultiver de nouvelles terres, aimer nos frères d'horreurs partagées, porter un autre regard sur les enfants-guerriers, eux-mêmes victimes du monde dans lequel ils vivent un quotidien horrible, indescriptible, en ce moment encore sur notre planète !! ça se passe près de chez nous...

Quand j'aurai terminé de nettoyer les mémoires, je serai guérie. Guérie des maux hérités, des impulsions que je ne comprends pas, de la violence reçue dans un héritage que j'aurai parfois préféré refuser même si j'en suis fière. Guérie des maladies des autres, sauvée par moi-même pour moi-même et pour les générations futures.

Avec l'espoir que cette guérison ne fasse pas partie des utopies auxquelles j'aime croire mais bel et bien d'une réalité possible, dès demain, dès aujourd'hui même ! Et que je puisse commencer à perdre le poids du malheur de mes ancêtres pour retrouver la joie de vivre, l'insousciance de l'enfance, l'humour et la légèreté... et ne plus courir après ma vie, mais courir dans ma vie !
Une vie de mémoire retrouvée, où je n'ai plus besoin d'oublier pour me protéger du malheur subi, comme si cela pouvait revenir. Une vie où je peux fièrement regarder autour de moi et être qui je suis, d'où je viens, avec les ancêtres qui sont les miens, leur souffrance à eux (pas la mienne ! nuance...) et avec respect, oublier de souffrir dans mon corps pour continuer le chemin de vie qui est le mien et que grâce à eux, j'ai la chance de pouvoir poursuivre et transmettre et découvrir, encore et encore... Sur moi, sur l'humain, sur l'Humanité, sur l'Univers et ses secrets, ses mystères, sa puissance. Et prendre ma place dans tout cela !

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