Je vis depuis des années avec ce lac de tristesse que je ne savais pas enfoui au fond de moi. J'entreprends d'en sortir, je sens que si je laisse les larmes couler... mais c'est trop tard, je pleure et c'est plus fort que tout. Je sens que les sanglots ne sont pas loin, comme à l'époque de la mort de ma soeur, Marie-Hélène.
J'observe ce lac, sa surface est lisse, pas un mouvement ne le perturbe tant que je ne pleure pas mais chaque larme versée devient comme un ricochet à sa surface, troublant par cercles de plus en plus petits l'eau qui se met à frissonner ! J'ai froid. J'ai l'impression que si je rentre dans le lac, je n'aurai qu'une envie : couler à pic... me laisser entraîner par le chagrin enfoui là, souterrain, source interrissable. Je me raisonne, je pleure un chagrin vieux de plusieurs dizaines d'années, je ne comprends pas pourquoi ? Pourquoi cette nuit ce chagrin vient-il me réveiller ? Moi qui pensais avoir réussi à, non pas oublier, je ne veux pas oublier, mais à l'avoir intégré ! Je ne sais depuis quand, je n'arrive pas à me souvenir de l'année de sa mort, ni de la date exacte ? 1974, non... 76 ? probable. Quel âge aurait-elle aujourd'hui ? Je ne sais pas, le temps n'a aucune importance, il n'a pas érodé mon chagrin, le temps ne l'a pas effacé, seulement enfoui, logé au coeur de moi-même. Je n'arrive pas à me reconnecter au temps passé, alors j'égrenne ma journée... Que s'est-il passé aujourd'hui ? un diner avec des amis... une AG de l'association dont je suis membre fondatrice, une toux carrabinée qui m'a fait annuler un déjeuner avec une amie... Je prends soin de moi, je veux me reposer et surtout ne pas la contaminer, sa santé est fragile, donc précieuse en ce moment... Peut-être ai-je peur de la perdre ? Pourtant, je pense qu'elle va venir à bout de cette saleté de cancer qui l'a surprise l'hiver dernier. Mais cette nuit, ce n'est pas ce que je pense ou ressens consciemment qui me tient éveillée... Il est déjà 5h, je ne dors toujours pas, je n'ai pas fini d'explorer mon lac intérieur. Je n'ai pas dit suffisamment à mon amie combien elle compte pour moi.
Que s'est-il passé d'autre ? Et là, soudain, gentil souvenir de la matinée... Une parenthèse ouverte comme j'aime en avoir dans une journée, une fenêtre paisible... J'attendais une cliente, encore quinze minutes avant qu'elle n'arrive alors je me suis lancée à l'assaut de mon téléphone et j'ai appelé une amie, nouvellement rencontrée : Marie-Hélène, (tiens donc, tu penses bien que ça ne m'avait pas échappé cette similitude de prénom, d'ailleurs quand j'ai senti que je pouvais me lier d'amitié avec elle, je lui en ai parlé, comme par honnêteté, qu'elle sache tout de suite que je pouvais parfois la regarder en ne voyant pas qu'elle, peut-être, même si j'évite ce genre de ... confusion ; mais le risque étant là !)
Coup de fil enchanteur, je ne sais pas si elle va être disponible ou en rendez-vous ? Son téléphone m'envoie un chant d'oiseau... je suis déjà propulsée à la campagne, même si elle n'est pas là, cet appel m'aura déjà fait du bien ; elle décroche et semble avoir un peu de temps pour prendre l'appel : joies et échanges, chacune dans une pause tranquille... Je l'imagine à Reims dans sa maison que je n'ai jamais vu... (le chant de l'oiseau m'a conduite en pleine campagne... alors qu'elle est citadine, je le lui dis, on rigole...) J'écoute, je partage... J'ai l'image de ses yeux rieurs, d'un iris superbe, sa voix chantonne. Je ne réalise pas que ma cliente est en retard, seulement quand l'interphone me rappelle à l'ordre... Déjà 25mn que nous discutions, rigolions, parlions de tout et de rien, conversation teintée parfois d'échanges profonds puis de légereté, l'amitié agrémenté de gaité, une pause dans ma journée qui a repris le fil de son cours tranquille... Je ne travaillerais pas beaucoup aujourd'hui pour réussir à chasser cette vilaine toux et ce mal de tête tenace voilà déjà plusieurs jours.
Depuis des années, j'ai eu du mal à apprécier les "Marie-Hélène", j'ai toujours un mal fou avec les personnes qui portent ce prénom, comme si il exigeait de la femme qui le porte d'être plus, d'avoir un truc en plus, ou d'être différente de ma soeur pour que je puisse l'aimer aussi, mais je sais que j'ai une exigence : que ce soit une personne "alignée", qui se respecte elle-même et qui respecte les autres profondément, de cette authenticité là que probablement le décès de ma soeur m'a fait appréhender... Là, justement, je l'ai approché et j'ai rencontré une femme pleine de douceur et de sincérité, attentive, réceptive et pleine de gaité et d'humour (elle a certainement de mauvais côtés, aussi... Mais je ne la connais pas encore suffisamment pour le savoir... Tu vois, ce stade de l'amitié naissante... ou tu sais déjà que tu apprécies l'autre au point d'être indulgent sur certains de ses travers que tu n'accepterais pourtant chez personne d'autre !) Bref, j'ai donc appelé Marie-Hélène, comme ça pour papoter, ce que je fais rarement ! Et soudain, cette nuit, à 3 heures du matin, je réalise le manque de ma soeur ! C'est probablement cela qui s'est reconnecté à l'intérieur de moi, la pièce du puzzle qui donne accès au lac ! Et ce soir, au diner... N' étions-nous pas entre amis, autant de lacs intérieurs successifs que je n'ai qu'entrevus, mais que je devine, quels sont leurs manques ? Saurai-je par ma simple présence, réconforter leur tristesse qui pourtant ne s'exprime pas ; le diner était joyeux... chacun partageant ses projets, l'achat d'une voiture neuve, le ski à noël, la dernière croisière, l'inquiétude des plans de licenciement a pointé aussi son nez, quand même... mais c'est l'annonce d'une naissance pour le mois de mai qui a clôturée la soirée. Extraordinaire attente ! Fabuleuse suprise... magnifique sortie de crise... Une bonne soirée amicale, une journée paisible et au détour de l'insomnie, c'est seulement ma nuit qui ne l'était pas !
Alors, j'ai laissé des questions sans réponse : je n'ai pas voulu connaître la température de cette eau là... je ne sais pas ; même si, dans un bain de larmes, j'ai nagé pendant plusieurs heures dans ce lac, j'ai nagé jusqu'à l'épuisement, jusqu'à m'endormir ne parvenant pas à le traverser ni en largeur ni en longueur, tellement grand que je ne pouvais jamais apercevoir la berge d'en face... m'éloignant de plus en plus... J'ouvrais les yeux que je fixais sur mon mari, je me suis accrochée à sa respiration, sa jambe sortie de la couette, la chaleur de son mollet contre le mien... Ne pas le réveiller. Sa seule présence me rassure, je peux continuer de visiter et de mesurer l'ampleur du manque de ma soeur. Chaque fois que la douleur est trop grande, j'ouvre un oeil et la vue de sa présence me rassure, je sais avec certitude que je ne coulerai pas à pic mais je ne sais pas encore si l'eau est froide ou chaude ? Je baigne en eaux profondes.
Au matin, 8h15... je me réveille en sursaut, sa place est vide, il a laissé un mot sur mon ordi. Il m'a laissé dormir, merci ! Il me laisse un message : merci, il pense à moi, merci. Ce matin, plus qu'un autre, chacun de ses gestes, de ses attentions avaient une importance capitale pour moi... merci d'être là ! Car c'est aussi de ton amour que je guéris du manque.
1 commentaire:
Je comprends que tu sois au bord du lac, autour, dedans... ailleurs. On dirait un rêve (ou un cauchemar, d'ailleurs ?) Bon courage et continue d'écrire...ça réchauffe aussi le coeur de ceux qui te lisent, en tous les cas, le mien... Marie (je l'ai échappé bel !)
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